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Mieux jouer aux échecs
Echecs et Physique Quantique
par Dany Sénéchaud

Depuis Ludwig Wittgenstein (1889-1951, logicien) et Henri Poincaré (1854-1912, mathématicien), on sait comment certains philosophes des sciences exactes apprécient d'utiliser le jeu d'échecs comme Modèle. Par modèle, il faut entendre une intrusion dans leurs domaines respectifs plus forte qu'une simple métaphore ou qu'un simple exemple - ce qui était peut-être le cas chez Leibnitz (1646-1716, philosophe et savant) et de Saussure (1857-1913, linguiste). Mais laissons ces débats aux épistémologues qui seuls seraient à même d'éclaircir valablement les allusions denses d'un Wittgenstein ou d'un Poincaré, entre autres, sur les Echecs au regard de leur discipline.

Goûtons plutôt les trois textes ci-après moins connus et qui s'inscrivent donc aussi dans cette " tradition " d'utiliser le jeu d'échecs comme d'un modèle fort, pour éclairer une proposition scientifique et/ou pour opérer une Analogie avec une démarche méthodologique en sciences exactes.

Des parallèles significatifs

D'abord, deux textes de Richard Feynman (1918-1988) physicien américain et Prix Nobel en 1965 :

Concernant le Principe de conservation, nous pouvons aborder cette notion avec Feynman qui l'explique de façon très simple par une analogie entre la physique et le jeu d'échecs. Voici cet extrait tiré de l'ouvrage La nature de la physique :

"Lorsqu'on étudie les lois de la physique, on en découvre un grand nombre, compliquées et détaillées : lois de la gravitation, de l'électricité et du magnétisme, des interactions nucléaires, etc., mais à travers la variété de ces lois particulières règnent de grands principes généraux auxquels toutes les lois paraissent obéir : ce sont par exemple les principes de conservation, certaines qualités de symétrie, la forme générale des principes de la mécanique quantique, et malheureusement ou heureusement comme nous l'avons vu, le fait que toutes ces lois sont mathématiques. Au cours de cet exposé, je vous parlerai des principes de conservation.

Le physicien utilise les mots courants avec un sens particulier. Pour lui, une loi de conservation signifie qu'il existe un nombre que l'on peut calculer en un moment donné, puis, bien que la nature subisse de multiples variations, si on calcule cette quantité en un instant ultérieur, elle sera toujours la même, le nombre n'aura pas varié. Prenons par exemple, la conservation de l'énergie ; c'est une quantité que l'on peut calculer suivant une certaine règle, et on obtient toujours le même nombre quoi qu'il arrive.

Vous réalisez maintenant que cela peut être bien utile. Imaginons que la physique, ou plutôt la nature, est un vaste jeu d'échecs avec des millions de pièces, et que nous nous efforçons de découvrir la règle du jeu. Les grandes divinités qui jouent le font très rapidement, on a de la peine à suivre et à comprendre. Pourtant, nous arrivons à saisir certaines règles, et parmi celles que nous découvrons il y en a qui ne nécessitent pas d'observer tous les mouvements. Par exemple, supposons qu'il y ait un seul fou, le fou blanc, sur l'échiquier ; puisque le fou avance en diagonale et donc reste toujours sur des cases de la même couleur, si on détourne un instant le regard pendant que les dieux jouent et qu'on le reporte à nouveau sur le jeu, on peut s'attendre à trouver encore un fou blanc sur l'échiquier, sa position aura peut-être changé mais la couleur de sa case sera restée la même. Telle est l'essence même d'une loi de conservation. Nous n'avons pas besoin d'entrer dans le jeu pour en connaître au moins les rudiments."

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Le texte suivant se rapproche de la manière de faire de Wittgenstein (et de Saussure) ; la fameuse question de la simplicité des Règles du jeu (avec en regard, de façon sous-jacente, la complexité de la partie d'échecs dans sa globalité). Il s'agit maintenant d'un extrait de l'introduction au chapitre " Physique de base " tiré du Cours de Physique de Feynman, destiné à ses étudiants :

Qu'est-ce que nous entendons par " comprendre " quelque chose ? Nous pouvons imaginer que ce réseau compliqué d'objets en mouvement, qui constitue " le monde ", est quelque chose d'analogue à une grande partie d'échecs jouée par les dieux, et que nous sommes des observateurs de ce jeu. Nous ne savons pas quelles sont les règles du jeu ; la seule chose que nous puissions faire, c'est de regarder le jeu. Bien sûr, si nous regardons suffisamment longtemps, nous pouvons finalement saisir quelques-unes des règles.

Les règles du jeu sont ce que nous appelons la physique fondamentale. Même si nous connaissions toutes les règles, il se pourrait que nous ne soyons pas capables de comprendre un mouvement particulier de la partie, simplement parce que c'est trop compliqué, et que nos facultés mentales sont limitées. Si vous jouez aux échecs vous devez savoir qu'il est facile d'apprendre toutes les règles, et cependant il est souvent très difficile de choisir le meilleur déplacement ou de comprendre pourquoi un joueur agit comme il le fait. Ainsi en est-il dans la nature à un degré supérieur ; mais nous devons au moins être capables de trouver toutes les règles. En fait, à l'heure actuelle, nous ne possédons pas toutes les règles. (De temps en temps, de même qu'un joueur d'échecs peut roquer, quelque chose de nouveau se passe que nous ne comprenons pas encore.) En dehors du fait que nous ne connaissons pas toutes les règles, ce que nous pouvons réellement expliquer à l'aide de ces règles est très limité, parce que pratiquement toutes les situations sont compliquées à un tel point que nous ne pouvons suivre la partie en utilisant ces règles, et encore moins prévoir ce qui va se passer.

Nous devons, de ce fait, nous limiter aux questions les plus fondamentales: la connaissance des règles du jeu. Si nous connaissons ces règles, nous considérerons que nous " comprenons " le monde. Comment pouvons-nous dire que les règles " supposées " sont effectivement exactes, si nous ne pouvons analyser le jeu très correctement ? Il y a, en gros, trois manières. D'abord il peut y avoir des situations que la nature a aménagées, ou bien alors nous aménageons la nature, de telle sorte que ces situations soient simples et qu'il y ait si peu de composantes que nous puissions prédire exactement ce qui va se passer, et qu'ainsi nous puissions vérifier comment nos règles fonctionnent. (Dans un coin de l'échiquier, il peut n'y avoir que quelques pièces à l'oeuvre et nous pouvons y voir complètement clair.) Une deuxième bonne manière de vérifier les règles se fait en fonction de règles plus générales, dérivées des premières. Par exemple, la règle du mouvement d'un fou sur un échiquier est de ne se déplacer qu'en diagonale. On peut en déduire qu'un certain fou se trouvera toujours sur un carré blanc, quel que soit le nombre de mouvements réalisés. Ainsi, sans être capable de suivre les détails, nous pouvons toujours vérifier nos prévisions à propos du mouvement du fou en contrôlant qu'il est toujours sur un carré blanc. Il y restera bien sûr pendant longtemps, jusqu'au moment où brusquement nous le trouverons sur un carré noir (ce qui s'est passé évidemment, c'est qu'entre-temps il a été capturé, un autre pion est allé à dame et s'est transformé en un fou sur un carré noir.) C'est de cette manière que les choses se passent en physique.

Pendant longtemps nous avons une règle qui s'applique excellemment et complètement, même lorsque nous ne pouvons suivre les détails, et puis il arrive que nous découvrions une nouvelle règle. Du point de vue de la physique fondamentale, les phénomènes les plus intéressants se trouvent bien sûr aux nouveaux endroits, où les règles ne sont pas suivies - et non ailleurs où elles le sont. C'est de cette manière que nous découvrons de nouvelles lois. La troisième manière de vérifier si nos conceptions sont justes est relativement grossière, mais probablement la plus puissante de toutes. C'est en utilisant une approximation assez large. Alors que nous ne sommes peut-être pas capables de dire pourquoi Alekhine déplace cette pièce particulière, peut-être pouvons-nous grossièrement comprendre qu'il est en train plus ou moins de rassembler ses pièces autour du roi, pour le protéger, puisque c'est la chose sensée à faire dans la circonstance. De la même manière, nous pouvons souvent plus ou moins comprendre la nature, en fonction de notre compréhension du jeu, sans être en mesure de voir ce que chaque petite pièce est en train de faire.

Au début, les phénomènes de la nature furent en gros divisés en catégories telles que la chaleur, l'électricité et la mécanique, le magnétisme, les propriétés des substances, les phénomènes chimiques, la lumière ou l'optique, les rayons, la physique nucléaire, la gravitation, les phénomènes des mésons, etc. Cependant le but est de voir la nature dans sa totalité comme différents aspects d'un seul ensemble de phénomènes. C'est-à-dire que le problème de la physique théorique de base aujourd'hui - est de trouver les lois derrière l'expérience; d'unifier ces catégories. Historiquement, nous avons toujours été capables de les amalgamer, mais avec le temps on trouve de nouvelles choses. Cela allait très bien, lorsque soudainement les rayons X furent découverts. Nous avons continué d'unifier, et puis les mèsons furent trouvés. Ainsi, à chaque étape du jeu, cela paraît toujours assez embrouillé. L'unification a été menée assez loin, mais il y a toujours fils et ficelles qui pendent de toutes parts. C'est ainsi que se présente la situation aujourd'hui, et nous allons essayer de la décrire. Voici quelques exemples historiques de synthèses.

Prenons pour commencer la chaleur et la mécanique. Lorsque les atomes sont en mouvement, plus il y a de mouvement, plus le système contient de chaleur, et ainsi la chaleur et les effets liés à la température peuvent être décrits par les lois de la mécanique. Une autre synthèse très importante fut la découverte des relations entre l'électricité, le magnétisme et la lumière, aspects différents d'une même chose que nous appelons aujourd'hui le champ électromagnétique. Une autre synthèse fut l'unification des phénomènes chimiques c'est-à-dire les diverses propriétés des diverses substances avec le comportement des particules atomiques, synthèse réalisée dans la mécanique quantique de la chimie. La question est, bien sûr, de savoir s'il est possible de tout rassembler et de découvrir simplement que le monde représente différents aspects d'une seule chose.

Nul ne le sait. Tout ce que nous savons est que, lorsque nous avançons, nous pouvons rassembler les éléments, trouver ensuite certains éléments qui ne s'emboîtent pas, et essayer de compléter ce jeu de patience. Bien entendu, nous ne savons pas s'il y a un nombre fini d'éléments ou même une frontière au puzzle. Nul ne le saura jamais avant d'avoir terminé l'assemblage - si jamais on le termine. Ce que nous voulons faire ici est de voir jusqu'où ce processus de synthèse est arrivé, et quelle est la situation à présent dans la compréhension des phénomènes de base en fonction du plus petit ensemble de principes. Pour exprimer ceci d'une manière simple, de quoi les choses sont faites et quel est le plus petit nombre d'éléments différents?

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Ils sont devenus fous !

Jean-Pierre Petit (physicien vivant), ensuite :

Son propos se veut également, et peut-être avant tout, humoristique si l'on veut bien considérer le fait que l'auteur signale en exergue ce mot de Souriau qui remarquait, en son temps (après la lecture d'un livre de Brian Greene), que la physique théorique était devenue… un vaste hôpital psychiatrique.

"Je vais tenter de donner une image de cette évolution extrêmement déconcertante de la physique théorique contemporaine. Imaginez que vous survoliez un champ de bataille, d'assez haut. En bas, des "blancs" et des "noirs" s'affrontent. Ces centaines de milliers de "blancs" et de "noirs", vu d'assez haut, semblent constituer un tissu continu. Là où les "noirs" offrent une densité moindre, cela apparaît "gris" ; etc.

En diminuant votre altitude, vous réalisez soudain que ce qui vous avait paru continu ne l'est point. En fait, ce qui se déroule en contrebas est une sorte de jeu. Des "objets", ou ce qui vous semble être un ensemble d'objets ne se déplacent pas vraiment. Comme aux Echecs, cet univers est fait de cases discrètes. Le présent lui-même possède une épaisseur finie : la durée du coup.

Consultez un joueur d'échecs et demandez-lui ce qui se passe, entre le moment où un roi passe de d1 à d2. Que lui arrive-t-il pendant ce "voyage subquantique" ? Il vous regardera avec des yeux ronds. Même attitude si vous lui demandez ce qui se passe entre deux coups, aux échecs, sur l'échiquier, bien sûr, ou avec quel matériau sont faites les pièces, quelle est leur forme exacte.

On pourrait aussi envisager de faire vibrer ces cases d'échecs, dont la dimension caractéristique serait bien entendu la longueur de Planck. On découvrirait au passage qu'il existe un nombre absolument fantastique de façons de les faire vibrer, en tant que "2-branes". En leur adjoignant quelques dimensions supplémentaires le jeu deviendrait encore plus riche. Il s'agirait alors de faire vibrer des hypercases à n dimensions, qui devraient alors, peut-être, être structurées en forme d'hypersurfaces de Trondheim-Balnukov, ou de Malcom-Bérénichkowicz. De là à imaginer que ces hypercases puissent être l'objet de convulsions, de réarrangements internes fort complexes, il n'y a qu'un pas. Comme disaient les Shaddock "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué".

Bien sûr, la raison suffisante de cette démarche, le but ultime serait de décrire les "coups" en tant que résultat de l'interaction vibratoire entre cases adjacentes. Vous espérez ainsi, parmi ces dizaines de milliers de façons différentes de faire interagir ces cases vibrantes pouvoir un jour retrouver par exemple le jeu de dames ou les échecs. Mais une chose est sûre. Ce faisant, vous avez construit le :

TOEG

En Anglais "Theory of Every Game", la théorie de tous les jeux.

Jamais on n'aurait conçu de théorie potentiellement plus globale que la vôtre, puisqu'elle les contiendrait a priori toutes. Ce serait l'instrument de musique absolu, le Gaffophone décadimensionnel, la harpe ultime.

C'est à essayer."

Une proposition (tirée de son site Internet, www.jp-petit.com) qui relève presque plus de la dérision littéraire que de l'analyse scientifique pourrait-on rétorquer ? Quelque chose qui, en somme, tiendrait de la PATAphysique chère à Raymond Queneau et François Le Lionnais : la science des exceptions et des solutions imaginaires ! Au-delà de la parodie apparente, des physiciens et théoriciens des jeux peuvent toujours nous communiquer utilement leurs commentaires.

En guise de conclusion

" Modèle ", " analogie ", " métaphore " ou " simple exemple " ; quelle est donc la nature de l'emprunt au jeu d'échecs en sciences exactes (logique ; mathématique ; physique ; biologie) ?
Quelle est, en outre, la nature de l'engagement du savant lorsqu'il évoque " une grande partie d'échecs jouée par les dieux " ? N'est-ce pas un " renoncement " du discours scientifique sur le monde devant tout questionnement METAphysique ? (Quid de l'ordonnancement du monde ? Quid du chaos ?) A moins que ce ne soit simplement qu'une aporie non encore élucidée par les découvertes scientifiques ?
Les trois textes ici proposés ne donnent-ils pas à envisager aussi, de façon ultime, les limites de tout discours scientifique en dehors de la production de concepts opératoires et de lois mathématiques ou naturelles (ce qui est propre aux sciences exactes) ? Notamment en physique ?
Que de bien graves questions pour les épistémologues.

Addenda

Albert Einstein (1879-1955), joueur d'échecs. On sait que Einstein s'adonna aux Echecs dans les années 1920 et 30. En outre, il apprit avec Emanuel Lasker le jeu de Go dans les années 20, à Berlin. On connaît aussi le mot de Einstein vis-à-vis de son ami Em. Lasker, mathématicien, philosophe, dramaturge et surtout joueur invétéré : Si Em. Lasker avait passé moins de temps à jouer aux échecs, il aurait été un très grand mathématicien ! (Einstein préfaça aussi la biographie de Em. Lasker par Dr. J. Hannak)

Einstein jouait peu aux Echecs, arguant souvent du fait qu'il se refusait à pratiquer des exercices intellectuels en dehors… de ses recherches en physique !

Une partie attribuée à Albert Einstein pour finir :

A. EINSTEIN - R. OPPENHEIMER
Princeton 1933
(ouverture Espagnole)

1.e4 e5, 2.Cf3 Cc6, 3.Fb5 a6, 4.Fa4 b5, 5.Fb3 Cf6, 6.0-0 Cxe4, 7.Te1 d5, 8.a4?! (8.d3) 8…b4?! (8…Fc5), 9.d3 Cc5?! (9…Cf6), 10.Cxe5 Ce7, 11.Df3 f6? (11.Fe6), 12.Dh5+! g6, 13.Cxg6! hxg6 (13…Tg8, 14.Cxe7+ Rd7, 15.Dxd5+ Re8, 16.Dxg8), 14.Dxh8 Cxb3, 15.cxb3 Dd6? (15…Rf7), 16.Fh6 Rd7, 17.Fxf8 Fb7, 18.Dg7 Te8, 19.Cd2 c5, 20.Tad1 a5, 21.Cc4! dxc4 (21…Dc7, 22.Fxe7), 22.dxc4 Dxd1, 23.Txd1+ Rc8, 24.Fxe7, 1-0.

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Addenda (2)

Quelques commentaires libres sur cet article

Jean-Baptiste Fouet sur France-Echecs, forum échiquéen sur Internet :

" Vous allez rire mais un des thèmes de ma thèse de physique quantique est : THE HEISENBERG MODEL ON THE 2D CHECKERBOARD LATTICE (c'est plus sympa en anglais parce qu'en français, traditionnellement, on parle de " réseau damier ").
Néanmoins, je n'ai pas encore réussi à utiliser mes connaissances échiquéennes sur ce problème de spins en interaction !
… Par ailleurs, j'ai toujours trouvé aussi que le milieu de la Physique théorique et celui des Echecs se ressemblaient un peu : des Russes super-forts, de doux dingues, des mégalos ! "

Raphaël Tadros (thésard en physique) sur France-Echecs :

" Il est plus facile d´expliquer la Mécanique Quantique par le biais des Echecs, le jeu étant certainement plus connu que les axiomes de la MQ et la nature discontinue de la matière. De plus en MQ, on parle de probabilités de présence, le déterminisme n´y a pas sa place, contrairement aux Echecs ou théoriquement le hasard lui n'y a pas sa place, fondamentalement parlant il y a donc opposition entre les deux. (…)
Opposition entre hasard et déterminisme, le seul point commun étant les discontinuités des trajectoires des pièces aux Echecs (la ligne droite n´étant plus forcément le chemin le plus court entre 2 cases) et les valeurs discrètes prises par l´énergie d´un système. "

Stéphane Bichon (chef de projet informatique) sur France-Echecs :

" Le jeu d'échecs a toujours évoqué pour moi un univers en réduction, avec ses particules élémentaires et ses "lois" en nombre limité et prédéterminé. J'ai été très frappé de découvrir que des physiciens faisaient également cette analogie, expliquant lumineusement ce que je ressentais confusément. Ce modèle pourrait être utilisé à l'école pour mettre en évidence, par exemple, la nature discrète de la matière et de la lumière.

Je ne crois pas qu'il y ait "renoncement du discours scientifique" dans cette métaphore, j'y voie juste un support particulièrement adapté pour le vulgarisateur et je suppose que la plupart des scientifiques admettent l'idée d'un Grand Horloger. Il leur est permis d'y faire allusion, de rappeler que notre vision du monde reste infiniment partielle et passablement subjective.

Au fait, qu'en est-il d'éventuels univers parallèles où les constantes (vitesse de la lumière, mur de Planck, masse photon/masse électron, etc.) seraient différentes ? Les dieux jouent aux échecs ici, aux dames là, au go plus loin... Tout cela est vertigineux et fascinant. "

Claude Pavy (musicien compositeur-interprète) sur France-Echecs :

" Feynman essaie donc d'expliquer que la démarche du chercheur s'apparente à découvrir le "fonctionnement" d'un jeu auquel on assiste mais dont on ne connaît pas les règles : "Nous ne savons pas quelles sont les règles du jeu ; la seule chose que nous puissions faire, c'est de regarder le jeu."

Certaines règles élémentaires se découvrent assez facilement, mais ça devient très vite très compliqué, et nous n'avons plus à notre disposition que l'expérimentation "pour voir ce qui va se passer". Le Champion David Bronstein parle très bien de cela.

Et c'est exactement ma démarche, mon "plaisir", lorsque je joue aux Echecs. Je suis plus un "explorateur" qu'un théoricien ou un calculateur. Je suis assez mauvais dans le calcul des variantes et d'ailleurs ça m'ennuie ! Donc je "tente" des coups à l'intuition qui s'avèrent souvent plus que douteux évidemment, mais j'ai vu ce qui se passait, j'ai "contemplé le truc" en action. De la même manière, et essentiellement dans ce cas là, lorsque je lis une partie de Grand-Maître, c'est dans cette "contemplation", le fait "d'assister à", sans pouvoir comprendre les ressorts techniques, mais en "sentant" les lignes de force de la partie, une certaine logique de son déroulement, mais aussi avec les effets de surprise, etc., que j'y trouve le côté "artistique" des échecs, comme un spectacle, et le résultat final en termes comptables m'importe peu. "

" Kolvir " (enseignant-chercheur en informatique) sur France-Echecs :

" Une petite remarque : dans le texte de Feynman, je préfère la traduction de square par case plutôt que carré. Sur la question de fond à présent. Tout d'abord on aurait aussi bien pu prendre un autre jeu donc à mon avis il ne faut pas trop s'imaginer que les Echecs jouent un rôle spécial. Ensuite pourquoi un jeu ? Je pense que c'est une façon agréable de présenter un système formel qui à mon avis n'est lui même qu'un modèle très simplifié du monde, utilisé notamment en logique et en informatique.

Et pourquoi les scientifiques cherchent-ils les règles d'un modèle du monde ? Et bien parce que c'est cela la science. Le jeu d'Echecs n'est qu'un exemple bien connu de micro-monde avec des règles précises. Les scientifiques construisent aussi des modèles avec des règles précises. Pas seulement les scientifiques bien sûr. Pour que le monde nous soit intelligible nous le voyons au travers de modèles.

A noter qu'en informatique il y a un modèle très simple qui pourrait être assimilé à un jeu, avec un ruban et des règles précises pour écrire des caractères sur le ruban. Science et Vie avait d'ailleurs proposé de construire cela avant que les PC existent, quand j'étais gamin et ces petites machines (de Turing vous l'aurez deviné) m'avaient bien amusé à l'époque. Les machines de Turing sont très simples mais on ne connaît pas de modèle plus général de système calculatoire.
Un détail : les machines en papier de Science et Vie avaient (forcément) un ruban fini. Une machine théorique a un ruban infini. "

Philippe Mamas (épistémologue) :

" la lecture des textes d'auteurs m'inspire trois réflexions :

1) Je pense que, avant tout, ce qui domine dans les textes que vous citez, c'est l'utilisation pédagogique de l'exemple du jeu d'échecs pour faire jeter au lecteur un regard sur, non pas le monde physique, mais la théorie physique ; autrement dit, les auteurs que vous citez utilisent la méthophore/modèle/exemple du jeu d'échecs comme un moyen ludique d'introduction à l'épistémologie des sciences physiques.

2) Ensuite, on peut se demander ce que les échecs ont de si particuliers, à part leur succès universel (ce qui suffit peut-être), pour que ce soient eux qui soient utilisés comme exemples dans ces textes. De manière générale, j'ai envie de dire qu'ils ont au moins trois caractéristiques qui les rendent propre à cela, et donc qui les ont fait choisir par les auteurs :

(a) une très grande complexité de combinaisons, qui peut évoquer la complexité de la réalité physique, et cela jusque dans la difficulté qu'il y a, pour le joueur d'une part, pour le scientifique d'autre part, à "contrôler" le jeu ou le monde ;

(b) une complexité d'éléments de jeu (les pièces), plus divers que la plupart des jeux connus (je pense aux dames, au jeu de go), et pas ordonnés (contrairement aux jeux de cartes), comme le sont souvent les objets du monde physiques ;

(c) - ce qui est une autre manière de dire (a) - l'étrange mystère d'un jeu apparemment totalement contrôlable (pas de hasard apparent) et pourtant pour la plus grande partie incontrôlé car son déroulement dépend d'un grand nombre de facteurs non contrôlables, et donc, pour le joueur, d'une certaine manière aléatoires.

3) Enfin, je me demande, si on veut bien renverser la perspective, si ces caractéristiques du jeu d'échecs n'ont pas concouru au succès du jeu d'échecs en général. Même si les joueurs d'échecs sont avant tout des joueurs, ne goûtent-ils pas aussi, dans l'idée qu'ils se font des échecs (et votre travail est un élément de réponse…) les réflexions ou les rêveries sur le monde, que suggère la triple complexité à la fois du jeu d'échecs et du monde que j'ai évoquée dans le point (2) ? "

Dr Michel Roos (universitaire et Champion de France d'Echecs 1964) :

" De tels textes sont évidemment intéressants sur le plan anecdotique et sur le plan de la publicité pour les Echecs mais il ne faut pas en attendre intellectuellement grande chose. En effet, ces "illustres" sont tous à peu près complètement incompétents sur les Echecs et par conséquent ils ne peuvent rien dire de sérieux ; exactement comme si nous parlions de la mécanique quantique sans avoir une formation de physicien.
Par ailleurs, il n'est pas certain que l'expression sciences exactes soit encore .... exacte ! Il y a dans la physique d'aujourd'hui trop de théories et une part trop mathématique par rapport à l'expérimental et à la mesure qui avaient donné l'expression sciences exactes.
Il nous faut certainement réfléchir de façon scientifique et de façon philosophique (ce qui est peut-être bien identique !) sur les Echecs, mais en venant de l'intérieur des Echecs, de notre compétence de joueurs d'échecs de compétition, et d'une série d'enjeux intellectuels et scientifiques majeurs. "

Aller plus loin

Lire l'article de Martin E. Rosenberg "Chess Rhizome : Mapping Metaphor Theory onto Hypertext Theory" in Digital Arts & Culture, novembre 1998.
Un texte d'épistémologie intéressant, traitant du même sujet (les Echecs comme métaphore/modèle/analogie/allégorie en sciences), découvert sur Internet bien après la rédaction de mon article début août 2002.
Un texte disponible ici : http://cmc.uib.no/dac98/papers/rosenberg.html

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